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𝐋𝐞 𝐊𝐚𝐬𝐬𝐚𝐜𝐫𝐞 𝐝’𝐄𝐀𝐢𝐭𝐞́ : 𝐥’𝐡𝐚𝐫𝐫𝐞𝐮𝐫 𝐝’𝐮𝐧 𝐜𝐫𝐢𝐊𝐞 𝐜𝐚𝐥𝐚𝐧𝐢𝐚𝐥 𝐚𝐮𝐛𝐥𝐢𝐞́

Le 31 décembre 1956, le petit village d’Ekité, prÚs d’Edéa, devint le théâtre d’un des massacres les plus sanglants de la guerre de répression coloniale au Cameroun. Ce qui devait être une simple réunion politique de l’UPC (Union des Populations du Cameroun), mouvement indépendantiste interdit quelques mois plus tÃŽt, se transforma en boucherie.

Une réunion politique réprimée dans le sang

Ce soir-là, des centaines de militants et sympathisants nationalistes se réunissent dans la case de François Boum Nyemb. L’objectif est clair : discuter de l’avenir du mouvement, réorganiser la lutte et resserrer les rangs face à la traque impitoyable menée par l’administration coloniale française.

Parmi eux se trouvent des cadres, mais aussi des familles entiÚres, femmes, hommes et enfants venus soutenir la cause.

Dans la nuit, les forces coloniales encerclent discrÚtement le village. Au petit matin, elles ouvrent le feu sans sommation. Selon le témoignage d’Oscar Pigla, l’un des rescapés, les soldats attaquent par surprise : « À cinq heures du matin, ils nous ont pris à revers, tirant sur la foule massée dans la cour. »

Pris au piÚge, les militants tentent de fuir, certains armés seulement de machettes et de lances. Mais face aux fusils automatiques, la résistance est dérisoire. Les balles fauchent sans distinction.

Une chasse à l’homme

Le carnage ne s’arrête pas à l’assaut initial. Les militaires poursuivent les survivants jusque dans la forêt. Ceux qui se cachent dans les cases sont traqués, brûlés vifs ou exécutés sur place.

Des corps s’effondrent dans les cuisines, dans les cours, dans les broussailles. Les témoins racontent des cris, des cadavres entassés, et le sang coulant jusque devant les portes des maisons.

Les récits de survivants décrivent une véritable scÚne d’épouvante : des dizaines de corps criblés de balles, des blessés achevés à coups de baïonnette, des femmes et des enfants piétinés dans la panique.

Certains rescapés ne durent leur survie qu’à la fuite désespérée dans la brousse, rampant entre les cadavres pour échapper à la mort.

La version officielle : une manipulation

Face à l’ampleur du massacre, l’administration coloniale s’empresse de donner une autre version. Le capitaine Haulin, qui dirigeait l’opération, parle d’un « affrontement » avec des « rebelles armés » et minimise le bilan à une vingtaine de morts.

La presse coloniale, comme La Presse du Cameroun, relaie docilement cette version, titrant sur une « sanglante échauffourée entre gardes camerounais et terroristes dans la forêt d’Ekité ».

Mais pour les rescapés et les familles des victimes, il ne s’agit nullement d’un combat, encore moins d’une échauffourée, mais bien d’un massacre prémédité. Les survivants estiment le nombre de morts entre 200 et 300, certains témoins parlant même de fosses communes creusées par une milice anti-upéciste pour dissimuler l’ampleur de la tuerie.

Un traumatisme encore vivant

Le massacre d’Ekité ne fut pas un événement isolé : il s’inscrit dans la logique d’une répression systématique visant à briser l’UPC par la terreur. Mais son horreur en a fait un traumatisme durable.

Les familles des victimes, réduites au silence par la peur et la censure, durent enterrer leurs morts dans la clandestinité.

Ce n’est qu’avec le temps que la mémoire a refait surface.

En 2020, un monument des martyrs d’Ekité-Edéa a été érigé sur le site du drame, désormais appelé « Champ des martyrs ». Il rappelle que ce 31 décembre 1956, des centaines de Camerounais furent sacrifiés pour avoir voulu se réunir et parler d’indépendance.

Mémoire d’un crime colonial

Aujourd’hui encore, les récits des survivants contrastent avec le langage froid et administratif des rapports militaires. Là où les uns parlent de « maintien de l’ordre », les autres évoquent les corps gisant dans la cour, les cris des blessés, les flammes dévorant les cases.

Là où l’armée parle de « rebelles », les témoins parlent de pÚres, de mÚres, de frÚres et de sœurs massacrés.

Le massacre d’Ekité demeure un crime colonial, longtemps occulté, mais qui fait désormais partie intégrante de la mémoire nationale camerounaise.

Chaque année, les familles et militants se souviennent de cette nuit d’horreur, rappelant que la lutte pour la liberté du Cameroun s’est écrite dans le sang de ses martyrs.

L’oubli est la ruse du diable !

Arol KETCH – 03.09.2025

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