๐๐ฎ๐๐ง๐ ๐๐ก๐ข๐๐ฃ๐จ ๐ซ๐๐ ๐ซ๐๐ญ๐ญ๐๐ข๐ญ ๐๐ฆ๐ฬ๐ซ๐๐ฆ๐๐ง๐ญ ๐โ๐๐ฏ๐จ๐ข๐ซ ๐๐จ๐ง๐ง๐ฬ ๐ฅ๐ ๐ฉ๐จ๐ฎ๐ฏ๐จ๐ข๐ซ ๐ฬ ๐๐ข๐ฒ๐

ยซ Je vous prends ร tรฉmoins, Mesdames, Messieurs, de ce que j’ai laissรฉ un Etat qui รฉtait l’un des rares, en Afrique francophone, dont le monde entier saluait la situation saine, gage de nombreux progrรจs dans un monde oรน le marasme รฉconomique et les difficultรฉs financiรจres รฉtaient trรจs rรฉpandues et; si tous les Etats n’en mourraient pas, tous รฉtaient durement frappรฉs
[โฆ.]
J’aurais pu, si je l’avais voulu, ne rien dire, rester encore quelques temps ร la tรชte du pays, procรฉder ร un remaniement ou ร la constitution d’un nouveau gouvernement avec un nouveau Premier ministre et ne dรฉmissionner qu’aprรจs.
M. Biya serait rentrรฉ dans l’anonymat d’oรน je l’ai sorti pour le conduire ร la tรชte de l’Etat, sans conquรฉrir, lui qui รฉtait inconnu de l’immense majoritรฉ ou de la quasi- totalitรฉ des Camerounais, y compris ceux de son village, lui qui n’avait jamais reรงu aucun mandat du peuple, pas mรชme celui de conseiller municipal. Le Cameroun aurait continuรฉ son chemin.
M. Biya et ses amis qui se comportent et parlent comme s’ils avaient รฉtรฉ de tout temps des opposants dรฉclarรฉs et dรฉterminรฉs du rรฉgime que je prรฉsidais et qu’ils avaient triomphรฉ et m’avaient chassรฉ du pouvoir !
Je reconnais humblement m’รชtre trompรฉ sur la personne que j’avais estimรฉe, protรฉgรฉ, comblรฉe et portรฉe tout seul ร la tรชte de l’Etat.
Mais cela est une autre histoire que mon propos n’est pas d’approfondir aujourd’hui.
Je tiens quand mรชme ร remercier les Camerounais de s’y รชtre trompรฉs รฉgalement en l’รฉlisant, ร ce qu’on dit avec 99,98% des voix.
S’il est vrai qu’il en a รฉtรฉ ainsi, ils me libรจrent moralement de la culpabilitรฉ que je ressentais en me considรฉrant comme le seul responsable.
Il est vrai que beaucoup disent, avec raison, que si M. Biya n’avait pas รฉtรฉ en position de me remplacer constitutionnellement et si je ne l’avais pas installรฉ en vertu des dispositions constitutionnelles que j’avais moi-mรชme fait adopter, il n’aurait jamais eu la moindre chance de devenir prรฉsident de la Rรฉpublique. [โฆ]

Comme je l’ai dit plus haut, j’avais fait de M. Paul Biya membre du comitรฉ central et vice-prรฉsident du parti. Je lui avais donnรฉ tout pouvoir pour me remplacer et diriger le Parti en cas d’absence ou d’empรชchement.
Je lui avais dit que le prรฉsident, รฉtant รฉlu par le congrรจs, je quitterais la prรฉsidence ร son profit avant- le congrรจs prochain.
Ma surprise a รฉtรฉ grande, dans ces conditions, de recevoir de M. Biya, alors que j’รฉtais ร la clinique ร Nice, et qu’il avait tous les pouvoirs, une lettre par laquelle il me demandait de lui abandonner la prรฉsidence de l’UNC.
Je lui rรฉpondis que ce problรจme qui n’en รฉtait pas un en rรฉalitรฉ si l’on veut bien se reporter ร ce que je viens de rรฉpรฉter ne concernait pas que moi et que, aucun pรฉril ne menaรงant, nous en dรฉciderons ensemble dรจs mon prochain retour au pays.
C’est aprรจs la rรฉception de ma rรฉponse que mon aide de camp, Salatou, a รฉtรฉ arrรชtรฉ. Quant au commandant Ibrahim, il fut inquiรฉtรฉ et se vit retirer son passeport.
Quelques jours aprรจs, il est arrรชtรฉ.
Quand le commandant Ibrahim et le capitaine Salatou ont รฉtรฉ arrรชtรฉs, tout avait dรฉjร รฉtรฉ prรฉparรฉ. Avant mรชme qu’ils aient รฉtรฉ interrogรฉs, un document qu’ils n’avaient plus qu’ร signer รฉtait dรฉjร รฉtabli.
Les menaces, les sรฉvices, la torture ont convaincu les deux malheureux d’avoir ร s’exรฉcuter. Ce sont lร , les ยซ aveux spontanรฉs ยป. Mais ร vouloir trop faire, on finit par faire des bรชtises et par se trahir.
[โฆ]
Je l’avais pris (Paul Biya) , ร la fin de ses รฉtudes, auprรจs de moi, dans l’รฉquipe de mon cabinet. Je l’avais confiรฉ ร un moment donnรฉ ร M. Eteki Mboumoua, alors ministre de l’Education nationale, pour รชtre son directeur de cabinet. Puis je l’avais repris ร mon cabinet, oรน il devait faire toute sa carriรจre.
Quoi que je pense aujourd’hui de l’homme et de la grave erreur d’apprรฉciation que j’ai commise le concernant, rien ne m’empรชche de dire qu’il รฉtait sรฉrieux, travailleur, pondรฉrรฉ et, selon toute apparence, dรฉvouรฉ.
Je n’ignore pas que ses camarades du sรฉminaire l’appelaient ยซMademoiselleยป, ni que les ministres se plaignaient souvent de ce qu’il ne tranchait jamais un problรจme de quelque importance, si cela impliquait de prendre une responsabilitรฉ.
Je me disais que, mis en situation et la fonction aidant, je le croyais sincรจrement, pourrait devenir un prรฉsident conformรฉment aux espoirs que je mettais en lui pour le plus grand bien du Cameroun.
Comme il n’รฉtait pas du Nord, qu’il รฉtait chrรฉtien, qu’il descendait d’une petite ethnie du Centre-Sud, il m’a semblรฉ qu’il pouvait, plus facilement que d’autres, รชtre un trait d’union dans le pays que l’on ne m’accuserait pas de privilรฉgier le Nord, de confisquer le pouvoir aux mains des hommes du Nord et de ma religion. Arrivรฉ au poste suprรชme, l’homme ne mit pas longtemps ร se dรฉcouvrir, tel qu’en lui-mรชme il รฉtait vraiment.
Parvenu au pouvoir, M. Biya ne courait pas d’autres risques que ceux inhรฉrents ร sa charge et n’รฉtait pas plus menacรฉ que les autres chefs d’Etat, ses pairs. La vรฉritรฉ, je l’avais dite dans la seule dรฉclaration que j’ai faite depuis le dรฉbut de la rupture entre M. Biya et moi. Certains ont trouvรฉ mon propos excessif.
J’ai parlรฉ des phobies des complots et d’assassinats. J’aurais dรป dire hantise. Mais depuis, les choses n’ont fait que croรฎtre. Tout le monde reconnaรฎtra que nous sommes maintenant rรฉellement en pleine phobie pour employer un euphรฉmisme.
Une vรฉritable psychose en tout cas. M. Paul Biya est littรฉralement tenaillรฉ par la peur morbide de perdre le pouvoir et, depuis qu’il a montรฉ son coup, par celle d’รชtre assassinรฉ. C’est dommage, car chacun sait ร quels actes irresponsables sont conduites les personnes atteintes de ce mal.
Une preuve supplรฉmentaire de la panique dans laquelle vit M. Biya, je la trouve dans la rรฉforme constitutionnelle ร laquelle il vient de procรฉder quant aux modalitรฉs de remplacement du prรฉsident de la Rรฉpublique en cas de vacance survenant en cours de mandat.
Comment quelqu’un qui vient de se faire รฉlire, รฉtant dรฉjร prรฉsident et exerรงant pleinement la fonction avant et pendant les รฉlections, peut-il trouver la chose inacceptable quand il s’agit d’un autre ? Pourquoi ce qui est bon pour lui ne le serait-il pas pour un autre, notamment pour le prรฉsident de l’Assemblรฉe nationale assurant l’intรฉrim pendant la vacance, interdit lui, de candidature! Parce qu’il croit s’รชtre ainsi protรฉgรฉ contre la perte du pouvoir et la perte de la vie.
La succession n’รฉtant plus automatique et l’รฉlection devenant totalement ouverte, il ne servirait ร rien, pense-t-il de provoquer sa chute d’une maniรจre ou d’une autre. Ces explications, nous assure-t-on, proviennent de bonnes sources: de ses amis et inspirateurs.
[โฆ]
M. Biya devrait mรฉditer le mot d’Abraham Lincoln: ยซ On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps. Mais l’on ne peut tromper tout le peuple tout le temps. ยป
A bon entendeur salut!
ADIEU MONDE CRUEL, MONDE INGRAT !
Mesdames, messieurs,
Il me faut conclure, en vous remerciant de votre aimable attention. Pourquoi dissimuler la tristesse, la trรจs grande tristesse qui m’envahit devant ce qui se passe au Cameroun et qui constitue non seulement une honte pour Mon pays qui ne la mรฉrite pas, mais aussi selon les nombreux et รฉmouvants tรฉmoignages que je reรงois de toute part, une honte pour l’Afrique.
Il ne s’agit pas de ma personne. Ce qui me prรฉoccupe, c’est le Cameroun. Je l’ai servi de mon mieux, de toutes les capacitรฉs de mon รชtre et lui ai consacrรฉ tous mes efforts.
Beaucoup se souviennent de ces temps difficiles de troubles et de sang oรน mon pays รฉtait en proie au terrorisme, aux dรฉchirements, ร l’insรฉcuritรฉ.
Personne n’oubliera que le 4 novembre 1982, quand j’ai dรฉcidรฉ librement d’abandonner le pouvoir, il รฉtait un pays pacifiรฉ, unifiรฉ, calme, paisible, prospรจre.
Comment pourra-t-on parler de tout cela en effaรงant totalement Ahidjo ?
Et comment Paul Biya s’y prendra-t-il pour faire croire aux gรฉnรฉrations qui viennent, ร ceux pour qui nous avons travaillรฉ, ceux pour qui nous devons travailler, qu’il est sorti le 6 novembre 1982 prรฉsident de la Rรฉpublique, tout droit et par une gรฉnรฉration spontanรฉe de la cuisse de Jupiter et non de la volontรฉ d’Ahidjo ?
J’ai confiance dans mon pays; J’ai confiance dans sa jeunesse; confiance dans les hommes et les femmes du Cameroun. Ma foi dans celle-ci et dans celle-lร demeure intacte et inรฉbranlable. Dieu protรจge le Cameroun !
Je sais qu’il y a eu des parricides dans l’histoire; ce sont les Grecs qui ont tuรฉ Socrate. Mais il y a des limites qu’il ne faut pas dรฉpasser. Trop c’est trop ! ยป
Source : Afrique-Asie – Paris 5 Mars 1984 avec la courtoisie de Daniel Essissima
La terre est sale ! Si รจ ne mvit ! Ngo Bagdeu !