Tanko Hassan – l’homme qui murmurait à l’oreille d’Ahmadou Ahidjo
Son histoire est oubliée. Rien à priori ne le prédisposait à une telle influence. C’est l’histoire d’un petit berger tirant ses origines du Nigeria qui a réussi à devenir l’un des hommes les plus influents de la ville de Douala et même du Cameroun.
Tanko Hassan est né vers 1919 à Ngaoundéré dans l’Adamaoua, son itinéraire est typique de ceux des immigrés haoussas du nord Cameroun venu du Nigéria. En effet, son grand père est venu de Kano au Nigeria pour s’installer au Cameroun.
Le Jeune Tanko refuse d’aller à l’école et dès l’âge de 10 ans, aide son père à vendre son troupeau de bœufs, voyageant de quartier en quartier et de ville en ville, jusqu’à traverser les frontières vers la RCA et d’autres pays voisins. Au cours de ces voyages, il découvre le commerce des peaux de bœuf et s’auto-forme à la tannerie. Il se spécialise ensuite dans la fabrication artisanale de produits en cuir, tels que des babouches, chaussures, ceintures, sacs, et travaille également avec l’ivoire, devenant ainsi un expert dans ce domaine.
Toujours en quête de bien-être, il découvre des minerais précieux lors de ses voyages, notamment l’or, le diamant et d’autres pierres précieuses. Après l’interdiction de ce commerce au Cameroun, il s’exile au Congo- Zaïre et en RCA, où il prospère dans le trafic de pierres précieuses. Il étend son commerce au nord de Madagascar et accumule une petite fortune. De retour à Douala avant 1940, il s’installe à New Bell et devient tailleur spécialisé dans la broderie à la main; métier appris au Congo – Zaïre. Pour la petite histoire, c’est lui qui confectionnait les tenues du Président Ahidjo.
Il se reconvertit ensuite dans le commerce import-export, ce qui le propulse socialement et politiquement, devenant Président des Amicales Musulmans et commençant sa carrière politique dans le parti Union Nationale avant l’indépendance du Cameroun.
Grâce à sa nouvelle position sociale et à son appartenance à l’Islam, Tanko Hassan devient un point de convergence pour les immigrants nigérians à Douala. Sa situation attire l’attention des autorités locales, facilitant sa rapide ascension sociale et son élection en tant que Président de la section UC Wouri entre 1958 et 1960.
Considéré comme une ressource stratégique par les autorités, il gagne en influence politique, notamment après avoir rencontré le Premier ministre Ahmadou Ahidjo. Son engagement politique et associatif dans la région du Littoral lui permet de s’établir comme une figure importante de la communauté nigériane et de Douala.
En effet, la recherche du contrôle des immigrés par les autorités locales se traduit alors par l’inféodation dans le jeu politique local de certains « pontes » nigérians ayant acquis une notoriété dans la ville.
En 1958, l’Union Camerounaise, dirigée par Ahmadou Ahidjo, cherche à créer une alliance entre les communautés Béti et Haoussa de New Bell. Tanko Hassan, entrepreneur autodidacte et influent, joue un rôle crucial dans cette mission. Conscient des tensions politico-ethniques à New Bell, Ahidjo confie secrètement à Tanko Hassan la tâche de réparer les relations avec les Bamilékés, affectés par les répressions contre les Upécistes.
On se souvient notamment de l’incendie du quartier Congo à Douala; où des originaires de l’ouest Cameroun suspectés d’être proches de l’UPC furent massacrés par des haoussas avec la complicité des forces coloniales. C’est dans ce contexte électrique que Tanko Hassan a pour mission d’aplanir les relations entre ces communautés.
Tanko Hassan sélectionne des membres influents de la communauté Bamiléké, tels que Kadji Defosso et Sohaing André, qui bénéficient de crédits bancaires grâce à l’intervention d’Ahidjo, leur permettant de devenir des hommes d’affaires prospères. Cette approche stratégique attire massivement les Bamilékés vers l’Union Camerounaise, renforçant l’unité intercommunautaire à New Bell et consolidant le parti d’Ahidjo.
Ce stratagème a fait de Tanko Hassan le maître incontesté du jeu politique à New Bell pendant les vingt-deux années de présidence d’Ahmadou Ahidjo. Toutefois, l’élite Bamiléké de New Bell n’a pas été entièrement neutralisée. Il eut de nombreuses poches de résistances qui ont continué la lutte aux côtés des nationalistes et qui ont dénoncé leur musellement. Par exemple, Dagobert Fampou, le défunt père de l’actuel maire de Douala 2ème, a constamment manifesté son opposition à la domination peul-haoussa de New Bell. Il accusait Tanko Hassan d’avoir instrumentalisé les Bamiléké du quartier et de les avoir relégués en arrière-plan au profit des Haoussa.
Dans l’UNC, les nominations étaient souvent assurées sans compétition. Cependant, René Douala Manga Bell, chef du canton Bell, a osé se présenter contre Tanko Hassan, dirigeant du parti dans le Wouri depuis les années 1960. Lors du scrutin à la permanence de l’UNC à Bonanjo, presque tous les électeurs soutiennent Tanko Hassan, proche du président Ahmadou Ahidjo, tandis que seuls deux soutiennent le prince Douala Manga Bell. Furieux, Douala Manga Bell critique la présence d’un non-autochtone à la tête de l’UNC du Wouri. L’influence de Tanko était telle qu’il faisait même ombrage aux autorités traditionnelles.
Dans les années 1970, au cœur d’une expansion socioéconomique marquée par les stratégies d’import-substitution, l’État a utilisé son pouvoir pour favoriser des alliances stratégiques. Des personnalités comme Tanko Hassan, Joseph Kadji, et Daniel Nanga Awah sont devenues des actionnaires clés dans des entreprises comme CAMSUCO, SCS, STPC, et GMP. Tanko Hassan, propriétaire de MCV (manufacture de chaussures et valises) à Bassa et d’une tannerie à Ngaoundéré, a bâti un immense empire industriel.
Il a été actionnaire chez UCB, Chocolat, Maiscam, Akwa Palace, Canada dry etc
En plus de ses succès dans le bétail, l’immobilier, l’import-export et les stations-service, il a côtoyé de nombreux chefs d’État africains et européens ( Houphouët Boigny , Omar Bongo, Abdou Diouf, François Tombalbaye, David Dacko, François Mitterrand etc.) bénéficiant d’une proximité particulière avec le Président Ahmadou Ahidjo. Ahidjo séjournait chez Hassan lorsqu’il venait à Douala, et Tanko était son confident et intermédiaire clé pour les affaires politiques. À cette époque, lors des célébrations officielles du 20 mai, du 1er mai et du 11 février, Tanko Hassan arrivait en dernier et son arrivée marquait le début des événements.
Toutes les autorités de Douala lui rendaient hommage ou sollicitaient ses conseils avant d’agir. Il était considéré comme la clé du pouvoir dans la région du Littoral et même au Cameroun. Il valait mieux être proche de Tanko Hassan que du premier ministre, du Directeur du cabinet civil ou du secrétaire général à la Présidence.
La maison du Parti de Bonanjo doit son existence aux efforts et à l’amour du Parti de Tanko Hassan et Aladji Catche, qui ont trouvé l’emplacement pour les réunions de l’UNC. Tanko Hassan a investi ses propres fonds, aidé par des amis comme Kadji Defosso et Sohaing André, pour construire ce bâtiment.
Tanko Hassan a été un mentor clé pour de nombreux hommes d’affaires et politiciens. Tanko Hassan, parti de rien, est devenu une figure majeure dans l’administration politique et les affaires au Cameroun, ayant impacté de nombreuses vies. Sa proximité avec le président Ahmadou Ahidjo a fait de lui une figure influente au-dessus de nombreux hauts responsables et membres du gouvernement. Sa contribution reste mémorable dans l’histoire contemporaine du Cameroun.
Après la démission d’Ahidjo en 1982 et le coup d’État manqué de 1984, Tanko Hassan est arrêté. Levis Koloko, homme d’affaires Bamiléké, prend temporairement la tête de la section en attendant la réorganisation du parti en 1986.
Après sa libération de la prison politique de Kondengui dans les années 1990, Paul Biya lui propose des postes ministériels que Tanko décline car toujours fidèle à Ahidjo quoique mort.
Tanko Hassan collabore avec Bello Bouba Maigari et Samuel Eboa pour créer le nouveau parti politique UNDP. Ils organisent des réunions au domicile de Tanko Hassan à New Bell, et il leur offre un bâtiment pour le siège du parti à Yaoundé. Cependant, après des conflits internes et l’éclatement du UNDP, Tanko Hassan et Samuel Eboa fondent le MDP en 1992 pour les élections présidentielles. Tanko Hassan retourne dans le monde des affaires et continue son engagement politique jusqu’à sa mort le 6 juillet 2000, à la suite d’un arrêt cardiaque dans un vol Camair (venant de son village natal Ngaoundéré). Il laisse derrière lui des veuves et dix enfants.
Je remercie la famille Tanko Hassan et notamment son fils Ahmado Farisad Tanko qui m’a apporté des éléments pour la rédaction de ce texte.
L’oubli est la ruse du diable !
Arol KETCH – 18.08.2024
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