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𝐇𝐞𝐧𝐫𝐢 𝐓𝐚𝐊𝐞 𝐒𝐚𝐮𝐊𝐞𝐝𝐣𝐚𝐧𝐠 — 𝐋’𝐢𝐧𝐝𝐮𝐬𝐭𝐫𝐢𝐞𝐥 𝐜𝐚𝐊𝐞𝐫𝐚𝐮𝐧𝐚𝐢𝐬 𝐪𝐮’𝐚𝐧 𝐚 𝐯𝐚𝐮𝐥𝐮 𝐛𝐫𝐢𝐬𝐞𝐫 𝐩𝐚𝐮𝐫 𝐬𝐞𝐬 𝐜𝐚𝐧𝐯𝐢𝐜𝐭𝐢𝐚𝐧𝐬 𝐩𝐚𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞𝐬

Aujourd’hui, je vous invite à découvrir l’histoire hors du commun d’un homme qui a incarné à la fois la lutte pour l’indépendance et la réussite industrielle au Cameroun. Voici le destin de Henri Tame Soumedjong, nationaliste fervent devenu capitaine d’industrie, que le pouvoir a tenté d’anéantir en raison de ses engagements politiques.

Le 8 juillet 1992, le sinistre René Owona, ministre du Développement industriel et commercial, adressait une note au ministre de la Santé publique, Joseph Mbede, lui demandant de « créer une situation à la société SAPLAIT afin que son directeur paie le prix de sa cruauté ». Mais qui était donc cet homme d’affaires qui inspirait tant de crainte au sommet de l’État ?

Né le 18 mars 1936 à Bandenkop dans une famille militante, Henri Tame grandit dans l’ombre du combat. Son pÚre, David Soumedjong, nationaliste de l’UPC, fut exécuté par les forces coloniales françaises, jeté vivant dans le fleuve Noun.

Orphelin trÚs jeune, Henri connaît une enfance difficile, balloté entre familles d’accueil. Prince de la cour royale de Bandenkop, il grandit animé par une profonde flamme nationaliste.

DÚs les années 1950, il rejoint l’Union des Populations du Cameroun (UPC). AprÚs les émeutes de 1955 à Douala et l’interdiction de l’UPC, il s’engage dans la lutte clandestine au sein du Comité National d’Organisation (CNO), qui deviendra l’Armée de Libération Nationale du Kamerun (ALNK). Sous le maquis, il adopte plusieurs noms de guerre : Tamo Henri, Commandant Pengoyé Le Constant, Silla Sékou, Soumedjong, Kamga.

Encore mineur, il est nommé Commandant du “Grand Quartier”par le Chef d’État-major Foé Gorgon, chargé de l’organisation du Territoire Militaire du Centre (TMC), couvrant la région de Yaoundé jusqu’au maquis de Djoum. Sa bravoure en fait une cible : sa tête est mise à prix.

Capturé à Ebolowa, il est jugé à Yaoundé et condamné à la prison à perpétuité. À la veille de l’indépendance en 1960, la loi d’amnistie promulguée par Ahmadou Ahidjo lui rend sa liberté. Henri retourne alors à la clandestinité avant de s’exiler en Europe.

En exil, il se forge un solide bagage intellectuel : ingénieur en biochimie alimentaire diplÃŽmé de la Fachhochschule de Berlin, il obtient aussi un diplÃŽme en commerce à l’École supérieure de gestion de Berlin-Est. En Hollande, il se spécialise dans la production de yaourts, puis intÚgre Unilever Amsterdam comme chef adjoint du service contrÃŽle qualité en 1969.

Fort de son expérience, il a à cœur de servir son pays. Il retourne au Cameroun en 1972, mais est aussitÃŽt arrêté et incarcéré à la brigade mixte jusqu’à sa libération définitive en 1975. DÚs lors, Henri met son expertise au service du développement économique de son pays.

En 1976, il devient sous-directeur commercial chez Argiles Industrielles du Cameroun à Yaoundé. En 1977, il est nommé directeur général de Mini Cap Frites, toujours à Yaoundé.

Puis en 1978, il prend la tête de la Société des Vivres Frais, également en tant que directeur général.

En 1979, fort de ces expériences, il crée sa propre entreprise dans le secteur de la boulangerie avec la boulangerie de Bastos. En parallÚle, il dirige Camyaourt (1979–1986), spécialisée dans la fabrication de yaourts, avant de promouvoir la Glacier Dolce & Freddo (1982–1992), fabricant de crÚmes glacées sous licence de CAPRIGIANI Italy.

ParallÚlement, il est aussi Président Directeur Général de HELEPAC (1982–1992), une entreprise de production d’emballages plastiques.

En 1986, il fonde SAPLAIT (Société d’Applications LaitiÚres Industrielles du Cameroun), marquant une véritable révolution industrielle : pour la premiÚre fois, un Camerounais fabrique localement des yaourts, du beurre et du fromage à partir de lait en poudre.

Le succÚs est immédiat. SAPLAIT recrute des centaines de Camerounais, ses produits séduisent massivement la population, et son modÚle est salué jusqu’à l’international — notamment avec la récompense à Barcelone en mars 1988 du Trophée International de l’Alimentation.

Les observateurs sont convaincus que cette entreprise va révolutionner le secteur des produits laitiers en Afrique. Les produits laitiers SAPLAIT sont considérés par les connaisseurs comme ce qui est fait de mieux. Visionnaire en économie, Henri Tame milite également pour une dynamique entrepreneuriale locale. Le 14 mai 1991, il fonde la Fédération des petites entreprises et commerces du Cameroun (FEPEC).

Cependant, fidÚle à ses idéaux, il utilise sa réussite pour soutenir financiÚrement l’opposition durant les « années de braise ». Un affront que le régime de Yaoundé ne lui pardonne pas. René Owona, proche de Paul Biya, est chargé d’ourdir sa chute.

Dans un contexte de grande tension politique, fidÚle à ses idéaux; Henri Tame apporte un soutien financier à l’opposition pendant les années de braise. Cet engagement politique lui attire les foudres du régime. En cette période de braise où le régime est en train de vaciller, les sécurocrates du régime décident de lui faire payer cet affront.

Le 8 juillet 1992, René Owona alias “barbe dure”, ministre du Développement industriel, envoie une correspondance confidentielle à Joseph Mbede, ministre de la Santé publique. Dans cette lettre, il recommande explicitement de « créer une situation » contre SAPLAIT afin de faire payer son directeur pour son engagement politique :« Certains coopérateurs économiques passent leur temps à militer dans l’opposition…C’est pourquoi, comptant sur votre dévouement, je vous prie de bien vouloir appliquer à la lettre les résolutions que nous avions prises lors de notre dernier entretien.

A savoir créer une situation à la société SAPLAIT afin que son directeur puisse payer les frais de sa cruauté. Je compte sur votre esprit patriotique »

Dans la foulée, le 18 août 1992, le ministre de la Santé publique publie un communiqué officiel annonçant la suspension immédiate de la consommation des produits SAPLAIT, prétextant de graves manquements aux normes d’hygiÚne. Selon cette version officielle, des germes d’origine fécale auraient été retrouvés en quantité anormalement élevée dans les produits. La rumeur est amplifiée : des cas supposés de diarrhée et même de morts d’enfants sont évoqués sans la moindre preuve.

Dans son entreprise diabolique; le gouvernement met à contribution l’Association Nationale des Consommateurs (ANC) qui, dans un communiqué du 20 août 1992, confirme que « les yaourts SAPLAIT sont nocifs et dangereux », appelant les consommateurs à s’abstenir d’en consommer jusqu’à nouvel ordre et à signaler tout préjudice à leur siÚge à Yaoundé.

La presse gouvernementale est aussi mise à contribution pour ternir l’image de SAPLAIT et répandre la panique. Cette suspension a causé un désastre économique énorme : fermeture temporaire de SAPLAIT, perte de la matiÚre premiÚre, destruction massive des stocks, arrêt de la production, effondrement du réseau de distribution, chÃŽmage massif pour plus d’un millier de salariés et distributeurs.

Henri Tame Soumedjong tente de faire appel contre cette décision arbitraire, mais ses démarches n’aboutissent pas. L’interdiction sera finalement levée quelques mois plus tard, mais les dommages étaient irréparables : la confiance du public était détruite, et SAPLAIT ne retrouvera jamais son prestige d’avant.

Malgré cette épreuve, Henri Tame Soumedjong ne renonce pas. De 1994 à 2008, il dirige Sotramilk Bamenda (transformation de lait frais) avant de fonder en 2012 Wood & Metal Company à Douala (transformation et commercialisation de bois débités).

Jusqu’à son dernier souffle, Henri Tame restera un industriel résilient, un patriote inébranlable, fidÚle à l’idéal de l’UPC. Il s’éteint le 18 mai 2021 à l’HÃŽpital Général de Yaoundé.

D’autres hommes d’affaires camerounais ont également subi la répression du régime pour avoir osé soutenir l’opposition. Parmi eux, Joseph Kadji Defosso, soupçonné d’avoir financé les forces du changement durant les années de braise. En décembre 1992, ses entreprises se retrouvent engagées dans un bras de fer fiscal avec le ministÚre des Finances, qui aboutira à la mise sous scellés de l’UCB (Union Camerounaise de Brasseries) en avril 1993.

Au Cameroun, le redressement fiscal s’impose désormais comme une arme de prédilection du pouvoir pour intimider, dissuader et neutraliser les entrepreneurs et capitaines d’industrie qui seraient tentés de financer l’opposition.

La terre est sale ! Si Ú ne mvit ! Ngo Bagdeu !

L’oubli est la ruse du diable !

Arol KETCH – 28.04.2025

Rat des archives

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