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Njiawouo Nicanor est mort

Cette figure du nationalisme camerounais qui fut l’un des dirigeants du comité révolutionnaire de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) est décédé le 18 décembre 2023 à Foumban dans l’anonymat total. Il était l’un des derniers nationalistes de grand plan, survivant de la période des indépendances.

Originaire du pays Bamoun, Njiawouo Abdoulaye est né en 1929 dans une famille musulmane de Foyet à une vingtaine de kilomètres de Foumban. Il fait ses études primaires à l’école de la mission protestante de Njissé à Foumban où il est obligé de changer de religion et de prénom; il devient Njiawouo Nicanor. Élève particulièrement brillant, il est major de la région au CEPE en 1945 ce qui lui vaudra de poursuivre ses études secondaires au lycée Leclerc de Yaoundé.

Il y obtient son BEPC et plus tard son baccalauréat en sciences expérimentales en 1952 avec pour camarade, William Eteki Mboumoua.

C’est au lycée Leclerc qu’il commence à s’intéresser aux idées de l’UPC. Il y côtoie notamment un certain Abolo Gabriel, camarade engagé et extrêmement brillant sur le plan syndical et politique. C’était un jeune Upéciste originaire du pays bulu qui va profondément influencer ses camarades et les rallier à la cause de l’UPC. Sous son influence, plusieurs élèves du Lycée vont adhérer à l’UPC.

A ses côtés Njiawouo Nicanor mènera une grande grève en 1952 qui verra l’intervention de la France à travers Louis Paul Aujoulat Aujoulat, Ministre de la France d’Outre-mer.

A cette époque, les élèves qui réussissent leur baccalauréat, obtiennent systématiquement la bourse coloniale pour poursuivre leurs études en France. C’est ainsi que Njiawouo Nicanor se retrouve en France. A l’université de Clermont Ferrand où il fait des études de biologie puis à la Sorbonne en 1955.

Parallèlement à ses études, Njiawouo Nicanor continue à vivre son engagement dans la première section de l’UPC de France dont il a œuvré à la création. Il milite à la fois au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) et de l’Union nationale des Étudiants du Kamerun (UNEK).

A Paris, il obtient successivement son DEA et son Doctorat. Il épouse NGUENYI Élise, comme lui; ancienne élève de l’école de la mission protestante de Njissé à Foumban et boursière en France pour des études d’infirmières avec pour camarade, Germaine future épouse du président du Cameroun.

En 1958, Njiawouo Nicanor est sollicité pour rentrer au Cameroun prendre la direction du Lycée Leclerc; il décline cette offre pour se consacrer au combat pour la libération du Cameroun. Très proche de Félix Moumié; il est envoyé à Rabat au Maroc pour coordonner les relations internationales de l’UPC; il devient le représentant permanent de l’UPC à Rabat au Maroc et joue en quelque sorte le rôle de ministre des affaires étrangères de l’UPC sous la protection de Mohamed V qui soutient les mouvements progressistes et indépendantistes d’Afrique comme le souligne le Pr EC Ndjitoyap Ndam.

Dès 1960, il développe avec son ami Félix Moumié, la théorie du “Panafricanisme des Temps Nouveaux”. Ils étaient convaincus que le salut de l’Afrique ne passera que par l’unité.

Le 3 novembre 1960, Félix Moumié meurt empoisonné au Thallium à Genève. Il laisse un vide jamais comblé. Des luttes de clans, des rivalités internes presque imperceptibles jusque-là, se multiplient au sein de l’UPC.

Ce décès brusque provoque la mise en place à Accra en 1962 d’un comité révolutionnaire composé de sept personnes : Ernest Ouandié, Abel Kingue, Osendé Afana, Njiawouo Nicanor, Ndongo Diye (médecin), Michel Ndoh (avocat), Woungly Massaga.

Le mouvement nationaliste va se diviser en “prochinois” et en “prosoviétiques”. Castor Osende Afana, Ndeh Ntumazah et Marthe Moumié sont rangés dans le premier camp tandis que Woungly Massaga, Michel Ndoh, Nicanor Njiawouo, Jean-Martin Tchaptchet et les autres sont rattachés au second camp.

Tout au long de son parcours, Njiawouo Nicanor a rencontré de grandes personnalités. A rabbat, il était le protégé de Mohamed V. En 1962, il reçoit Nelson Mandela en Algérie pour une formation politique et militaire; il profitera de cette occasion pour lui enseigner la théorie du “Panafricanisme des Temps Nouveaux”. Dans le cadre de son engagement politique, Njiawouo Nicanor a aussi rencontré Patrice Lumumba, Kwamé Nkrumah, Modibo Keita, Sékou Touré,Mouammar Kadhafi, Mao Tsé toun, Ho Chi Minh etc.

Avec les dissensions internes au sein de l’UPC, l’élimination de plusieurs leaders et la répression subie par le parti, Njiawouo Nicanor va entamer une longue période d’exil qui va le conduire en Algérie, au Soudan où il va obtenir un doctorat; introduire le français dans les universités et en République Centrafricaine où il a été accueilli par Maître Aboubacar Mounpain.

Après plus de 40 ans d’exil, Njiawouo Nicanor est rentré définitivement au Cameroun en 2007. Depuis son retour au pays natal et sachant ses jours comptés, il était habité par le souci de transmettre, de raconter son parcours, l’histoire du nationalisme et les fondements de la théorie du “panafricanisme des temps nouveaux”.

Le Panafricanisme des Temps Nouveaux l’habitera jusqu’à la fin de ses jours. Il était persuadé que Mandela s’en était inspiré en Afrique du Sud. Njiawouo évoquait les 3 M qui avaient bien incarné cette théorie pour instaurer la paix: Moumié, Mandela et Mouammar Kadhafi. Pacifiste convaincu, il était contre les guerres.

Pour lui, l’Afrique était le nouveau paradis terrestre.

Njiawouo Nicanor est mort chez son fils Moïse, à Foumban. C’est une mémoire de l’UPC qui s’éteint. En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle.

Que la terre de nos ancêtres lui soit légère.

La terre est sale ! Si è ne mvit!

Arol KETCH – 28.12.2023

Rat des archives

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