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Massacre dans le navire « MC Ruby » : Voyage vers l’enfer !

J’ai toujours éprouvé un profond respect et une grande admiration pour ces hommes et femmes qui abandonnent tout pour tenter l’aventure au péril de leur vie. Ils mettent en danger, ce qu’ils ont de plus précieux ; leur vie. Ils sont les vrais héros de l’aventure humaine ; mettre en danger sa vie pour offrir un avenir meilleur à ceux qu’on aime.
Nous sommes à Takoradi, une ville côtière de l’Ouest du Ghana. Un groupe de jeunes garçons travaillent durement pour subvenir aux besoins de leur famille. Ces jeunes s’occupent notamment du chargement des sacs de Cacao dans les bateaux. Ils leur arrivent de travailler plus de 12 heures par journée pour un modique salaire journalier de 2 dollars qui ne leur permet pas de s’occuper dignement de leur famille.
Certains parmi eux assistent impuissamment aux décès de membres de leur famille parce qu’ils n’ont pas pu payer des soins de santé. Face à tout cela, les jeunes garçons décident de faire l’aventure dans l’intention d’avoir une vie meilleure et de subvenir aux besoins des leurs. Ils ont pour la plupart l’ambition d’aller en Europe dans l’optique de poursuivre leurs études et rentrer servir leur pays. Ils ont des rêves en couleur. Ils se voient déjà ingénieur, avocat, médecin etc. Ces jeunes garçons ont dû quitter l’école assez tôt ; mais ils ne désespèrent pas. Quand il y a la vie, il y a l’espoir.
Le groupe de garçons ficèle un plan. Chargeurs de cacao, ils vont infiltrer discrètement le navire MC Ruby embarquant du Cacao du Ghana pour l’Europe. Après avoir minutieusement préparé leur coup, les 8 garçons se cachent dans les cales de ce navire en partance pour l’Europe. Lors de l’escale du navire à Douala au Cameroun, comme par hasard le groupe est rejoint dans leur cachette par un passager clandestin qui, depuis son Cameroun natal avait eu la même idée que ses frères Ghanéens. Camerounais et Ghanéens unis dans la misère et l’espoir d’une vie meilleure.
Six jours après le début du voyage, le groupe d’aventuriers n’a plus assez d’eau et de provisions dans leur cache ; ils crèvent de faim et de soif. Ils décident donc la nuit tombée, d’explorer le navire à la recherche de l’eau pour étancher leur soif. Malheureusement, ils vont être repérés par les membres de l’équipage du navire ; trahis par leurs traces de pas sur le pont. L’équipage du navire, des ukrainiens cruels sans cœur ; vont confisquer tout leur argent avant de les enfermer dans le puits de l’ancre du navire. Ils y seront détenus pendant 3 jours dans des conditions inhumaines, sans rien à manger et à boire. Comme s’il fallait les faire mourir de faim et de soif puis se débarrasser de leurs cadavres. Après 3 jours, les membres de l’équipage croyant trouver des cadavres vont retrouver les jeunes aventuriers en vie.
En effet, nos aventuriers étaient habités par un désir profond de vivre pour garantir un avenir meilleur à leurs familles qui avaient placé leurs espoirs en eux. Subjugués par cette force de résistance inhumaine, les membres de l’équipage vont annoncer aux jeunes aventuriers que pour récompenser leur désir ardent de vivre, l’équipage a décidé dans son humanité subite de les héberger dans un endroit plus confortable où ils pourront manger à leur faim et boire à leur soif.
Les six membres d’équipage vont extraire les aventuriers par groupe de deux. Contre toute attente, au lieu d’être dirigés vers un hébergement plus confortable. Les jeunes aventuriers seront battus sauvagement avec des barres de fer et abattus à l’arme à feu. Puis leurs cadavres jetés à l’eau au large de la côte du Portugal. Selon l’équipage, Anduse ; le Camerounais qui avait rejoint les autres lors de l’escale à Douala a préféré se jeter à l’eau ; croyant certainement avoir plus de chance de s’en sortir au milieu des requins qu’au milieu de ces hommes déshumanisés. Faux ! a tranché Ofosu lors du procès comme nous le verrons par la suite. Anduse, le Camerounais, fut le premier à avoir été exécuté.


Kingsley Ofosu et Albert Codjoe étaient les derniers à être extraits du puits de l’ancre du navire. Ofosu et Codjoe sont en réalité des demi-frères. Très observateurs et avertis, ils vont constater que les vêtements des membres de l’équipage sont couverts de tâches de sang encore frais. Ils vont immédiatement comprendre ce qui est en train de sa passer et font décider de fuir. Malheureusement Codjoe est abattu dans sa fuite. Habité par un instinct de survie exceptionnel, Ofosu réussira à fausser compagnie à ses bourreaux après avoir reçu des coups de barre de fer sur la tête. Il va se cacher dans l’ancre du navire.
Malgré 3 jours de fouilles âpres et de recherches intenses, l’équipage ne réussira pas à le retrouver. Ils vont même répandre de la farine au sol pour essayer de le repérer. Ils croiront alors qu’il s’est jeté à l’eau. Ofusu qui crève de soif dans sa cachette va pisser dans sa chaussure et boire son urine pour étancher sa soif.
Le navire arrive au port du Havre en France le 9 Novembre 1992 ; Ofosu sort de sa cachette et réussit à se glisser in extremis hors du navire. Il saute du bateau à plus de 4 mètres et se fait mal à la jambe. Sur son chemin, il aperçoit une flaque d’eau au sol. Il se met à 4 pattes comme un animal et la boit. Il crevait de soif.
Il entame une course folle et va aussitôt à la rencontre des policiers présents sur le quai pour raconter l’horreur qui s’est produit dans le navire au cours du voyage. La police dans un premier temps refuse de croire tant les faits paraissent surréalistes. Très intelligent, Ofosu avait prévu cette réaction ; c’est pour cette raison qu’il avait caché ses papiers d’identités dans l’un des sacs de cacao de la cargaison ; ce, afin de prouver qu’il avait bien été à bord de ce navire.
Les 6 membres de l’équipage ont été jugés en France. 5 membres de l’équipage ont été reconnus coupables. Le capitaine Ilnitskiy et le commandant en second Artemenko ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Trois autres membres de l’équipage, Oleg Mikhailevsky, Petr Bondarenko et Sergei Romashenko, ont été condamné à 20 ans de de réclusion criminelle. En revanche le matelot Dzhamal Arakhamiya, seul abkhaze au sein de cet équipage ukrainien, a été acquitté.
Profondément choqué par le sort de ces Ghanéens, le Président du Ghana Jerry Rawlings s’était profondément impliqué pour obtenir justice, il avait même payé le déplacement des familles des victimes afin que celles-ci viennent en France assister au procès.
Grâce à l’instinct de survie d’Ofosu, le monde découvrait alors l’aspect crapuleux de l’immigration et les actions meurtrières des équipages de navires. En effet, des enquêtes démontraient alors que de centaines d’immigrants clandestins avant Ofusu et ses compagnons ont été assassinés et jetés à l’eau par des membres d’équipage. L’eau avalant les cadavres et les poissons se chargeant du reste, il ne pouvait pas avoir de preuves des crimes commis.
A la fin du procès de l’équipage en 1995, la justice Française avait ordonné 100.000 € de dommage et Intérêts à verser Ofusu mais malgré ses efforts, il n’a jamais perçu cette somme.
Ce procès a ému la France. Emus par le sort de Kingsley Ofosu après avoir lu l’histoire dans la presse, les parents du futur footballeur français Kingsley Coman vont décider de donner le prénom « Kingsley » à leur fils en hommage à Kingsley Ofosu et à ses compagnons.
Ofosu s’est installé en France mais malheureusement, n’a pas réussi à y faire venir sa femme qui était enceinte de lui car l’Etat français exigeait de lui un emploi en stable. Il a été hébergé à un moment donné à l’armée du salut. Pour faire honneur à ses compagnons d’infortune massacrés, il va essayer de réaliser le rêve qu’il avait en tête en quittant le Ghana : Devenir Ingénieur. Il va s’inscrire à l’université et suivre des cours de génie civil, mais les troubles psychologiques liés à l’horreur qu’il a subis ne lui permettront pas de mener ses études à terme. Il va vivre de petits boulots précaires et instables. Approché par Union Picture, il va vendre les droits cinématographiques de son histoire. Un film (Voyage vers l’enfer) a donc été réalisé pour raconter son histoire. L’argent qu’il a gagné de l’accord avec Union Picture lui a permis de vivre en France et de mettre en place un business de vente au Ghana de produits électriques achetés en France. Ce business ne fera pas long feu.
Notons aussi qu’il y a eu une belle histoire d’amour entre Ofosu et une jeune anglaise qui fut émue par son histoire et lui apportait son soutien dans l’attente de son procès. De cette histoire est né le 20 septembre 1994 Solomon James Ofosu.
En 2007, Kingsley Ofosu décide de rentrer au Ghana avec sa femme et ses 4 enfants. Les membres de l’équipage sont aujourd’hui tous sortis de prison et sont retournés en Ukraine où ils vivent paisiblement loin du tumulte. Près de 30 ans plus tard, le massacre et le balancement à l’eau des clandestins continuent dans les navires ; on appelle cela dans le jargon des marins : « balancer au jus ».
Arol KETCH – 31.08.2020
Fourmi Magnan égarée

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